UNE ECONOMIE AU SERVICE DE L’HOMME
L La croissance économique a longtemps été perçue comme une sorte “d’indice du bonheur
partageable”. Il est vrai que dans les années “glorieuses” après la seconde guerre mondiale,
jusqu’au début des années 1970, le boom économique a pu partiellement, justifier cette idée.
A l’Ouest, le capitalisme a su négocier, sous la pression sociale, syndicale, une répartition
suffisamment prudente de certaines richesses pour que chacun en profite peu ou prou.
Depuis 1973, la croissance malmenée n’apparaît plus comme suffisante pour être un facteur
de bien-être pour tous les individus des pays avancés. Les inégalités se sont accrues au Nord
et creusées entre le Nord et le Sud. Les opinions ont pris conscience d’une mauvaise gestion
de la planète: utilisation absurde et souvent destructrice des ressources naturelles, pollution
des espaces naturels ou des milieux urbains.
Et pourtant, les Etats comme les entreprises persistent à mesurer la croissance de façon
traditionnelle, en termes de Produit Intérieur Brut, d’indices de production marchandes, de
commerce extérieur et, bien sûr, d’indices financiers. Aujourd’hui, une telle approche est
devenue notoirement insuffisante. Le PNUD, la Commission Européenne et même des
organisations d’entrepreneurs ont suggéré, chacun à sa façon, d’autres approches.
La “croissance” doit désormais être mesurée en termes de “progrès humains, sociaux et
environnementaux” autant qu’en termes économiques et financiers. La croissance à
dimensions humaine, sociale et environnementale exige l’intervention d’acteurs multiples,
jouant des rôles complémentaires. Ils peuvent être regroupés en quatre pôles: les entreprises
privées, l’économie sociale, le secteur public, les collectivités territoriales.
Les entreprises privées
Les entreprises privées traditionnelles sont les animateurs essentiels de l’activité économique.
Ce premier pôle d’acteurs économiques comprend à la fois des Très Petites Entreprises (TPE),
des Petites et Moyennes Entreprises (PME), et des grandes entreprises européennes et
multinationales.
Faciliter la création et l’activité des petites et moyennes entreprises
Les TPE et PME, d’abord, méritent une attention particulière, étant une des principales
sources de richesses et d’emplois. Un certain nombre de mesures doivent être prises pour
faciliter la naissance, le développement et la transmission de ce type d’entreprises.
Il s’agira de faire en sorte que:
- au plan juridique, la responsabilité de l’exploitant soit toujours limitée aux biens
professionnels;
- au plan fiscal, l’exploitant ne soit pas imposé sur les sommes réinvesties;
- au plan des capitaux, les interventions d’investisseurs et de sociétés de capital-risque soient
rendues plus aisées, y compris dans le cas des TPE;
- au plan du soutien à la création, soient créés de nouveaux services d’aide à la création
d’entreprises (maisons de services publics dans les quartiers urbains, par exemple) et prévues
de nouvelles mesures d’aide et de facilitation.
- au plan du développement et de la transmission, soient créés des fonds décentralisés de
développement et de transmission des TPE et PME.
Un Ministère plein des TPME, du Commerce de l’Artisanat et du Développement local devra, en
liaison avec la Banque de France, la Banque de Développement des PME, la Caisse des Dépôts,
l’ANVAR, coordonner et amplifier les interventions, en direction de ce type d’entreprises.
Mieux préserver les entreprises, le marché et les salariés
des abus de pratiques dominantes
Les entreprises de taille supérieure devront, pour leur part, être libérées de certaines
pressions concurrentielles ou financières abusives. En matière de droit de la concurrence,
par exemple, on voit bien que la constitution de très grands ensembles, de véritables oligopoles
fausse le jeu du marché. Il faut donc éviter que se constituent en France et au sein de l’Union
Européenne, des abus de pratiques dominantes, auxquels s’ajoutent souvent des drames
sociaux. Envisageons donc de:
- mieux protéger les entreprises et le marché lui-même, non pas contre toute possibilité de
fusion-acquisition, mais contre toute mainmise inamicale, contre tout risque de constitution
d’ensembles trop réducteurs de la concurrence et, au passage, destructeurs d’emplois: de
nouvelles dispositions communautaires devront être en ce sens proposées par le
Gouvernement français.
- rechercher l’institution d’un dialogue permanent entre les entreprises européennes et
multinationales, d’une part avec la Commission Européenne, d’autre part avec les instances
internationales, de façon à ce que de nouvelles voies de régulation soient explorées. Le monde
syndical devra être associé à de telles discussions.
L’économie sociale
L’Economie Sociale constitue un deuxième pôle important d’activité et de régulation
économiques, un pôle solidaire et démocratique, co-acteur du marché et des secteurs nonmarchands.
Selon ses principes fondateurs et sa pratique, c’est un pôle régulateur naturel: démocratie
interne, non-recherche du cumul de profit à titre individuel, solidarité, recherche du meilleur
rapport qualité-prix. Sociétés de personnes, fondées sur un système original de patrimoine de
type collectif, ne pouvant faire l’objet d’OPA, les coopératives et les
mutuelles sont, avec les associations, des pôles de stabilité indispensables à
l’économie française (et européenne).
L’Economie Sociale dresse d’indispensables ponts entre les secteurs marchand et nonmarchand,
entre nouvelles demandes et nouvelles offres à caractère sociétal, entre acteurs
émergents (économie solidaire, initiatives locales…) et acteurs installés. Il conviendra:
- d’élaborer une législation spécifique assurant une meilleure reconnaissance des groupements
de personnes (coopératives, mutuelles et associations) tant au plan national qu’Européen
- de donner des moyens plus importants aux outils de capital-risque du secteur
- de faciliter le développement et la circulation de produits financiers éthiques et sociaux,
visant à réorienter l’épargne vers la création d’activités porteuses d’emplois, d’innovations
sociales et environnementales
- de poursuivre la modernisation et la clarification des modes de partenariat entre les
associations, l’Etat, les collectivités territoriales, etc.
- d’encourager la création d’entreprises participatives de type SCOP, SCIC, Coopératives
d’activités.
Dans les domaines des services à la personne qui correspondent à des besoins croissants,
l’Etat doit encourager le rôle de l’Economie Sociale en créant un système de bonification du
Titre Emploi Service, en particulier lorsque celui-ci répond à d’importants besoins sociaux
(handicap lourd, par exemple) et en étendant le champ d’application du Titre Emploi Services
à de nouveaux domaines (habitat social, services de types culturels et de formation…).
Le secteur public
Le troisième pôle d’acteurs économiques est celui du secteur public, pôle régulateur central,
en voie de transformation, nécessaire à la vie sociale, garant actif de l’intérêt général, au sein
d’une économie nationale de plus en plus ouverte.
La réactivation du service public dans des domaines sociétaux primordiaux, comme ceux de
l’éducation, de la santé, des retraite ou de l’habitat social est une nécessité.
Le secteur public doit être soutenu:
- En donnant aux entreprises publiques des moyens de se financer et de se grouper, en
France et en Europe entre entreprises homologues sans avoir recours systématiquement à
la privatisation;
- En réformant la loi sur les titres participatifs, afin d’en créer une catégorie adaptée aux
seules entreprises publiques, pouvant donner lieu à des droits de vote, ne mettant pas en
cause la propriété publique de l’entreprise;
- En permettant aux véhicules financiers (FCP, SICAV, etc.) d’inclure une part plus grande
de ces titres dans leur portefeuille;
- En créant un droit des groupes des entreprises publiques et semi-publiques, en France et
en Europe;
- En instaurant des systèmes de contrats pluriannuels entre l’Etat et les entreprises
publiques ou semi-publiques, visant à donner plus d’autonomie à celles-ci;
La notion de service public doit être revalorisée.
Il faut de ce point de vue:
- faire reconnaître en Europe comme en France, que les services publics ou d’intérêt général
sont un élément fondamental de la cohésion sociale et territoriale ainsi que de la citoyenneté;
- refuser les privatisations et démantèlements mettant en cause cette cohésion, refuser
l’affaiblissement des services publics de transports, de la poste, des énergies (électricité, gaz,
eau …), d’éducation et de santé.
- établir une évaluation des services publics, tenant compte à la fois des éléments de
rentabilité économique directe, valables pour toute «entreprise» et des éléments de
rentabilité sociale et civique. On a, par exemple, trop tendance à oublier le coût social,
civique et au bout du compte économique de la désertification de zones rurales, de montagne
ou du sous-équipement de quartiers en difficulté, dû à la fermeture de services publics comme
La Poste, l’abandon de lignes de chemins de fer, etc.
- obtenir une extension de la notion de service public au sein de l’Union Européenne. Il y a
lieu d’intégrer au Traité CE la Charte des Services d’Intérêt Général, présentée par la
Confédération Européenne des Syndicats (CES) et le Centre Européen des Entreprises à
Participation Publique (CEEP).
Les collectivités territoriales
Le quatrième pôle d’acteurs économiques est territorial. Les communautés (agglomérations,
urbaines, de communes), les départements, les régions, mais aussi les pays jouent un rôle
croissant, en matière de développement économique, social et d’aménagement des espaces. Depuis
les lois de décentralisation des années 1980 s’est constitué en France un pôle de mobilisation
des forces et initiatives locales, venant faire contrepoids à l’Etat, mais aussi à la mondialisation
– globalisation. Il favorise la création de nouvelles racines territoriales, l’émergence d’un
espace économique résidentiel, permettant aux individus, aux associations, aux entreprises, aux
côtés des villes, des communautés, des autres collectivités, d’organiser localement de nouvelles
relations humaines, sociales, culturelles, économiques et technologiques.
Une véritable libération des énergies et du dynamisme économique des collectivités
territoriales, notamment par le développement de leurs compétences propres en ce domaine,
est désormais nécessaire.
Il est indispensable que les collectivités locales et régionales jouent un rôle plus important
dans l’animation de la vie économique locale, qu’elles prennent toute leur part dans la
compétition économique entre les territoires européens et mondiaux. Il faut désormais qu’une
place centrale soit reconnue aux régions dans la définition et la gestion des programmes
économiques et sociaux territorialisés (plans Etat-régions, DOCUP); que les collectivités
territoriales puissent disposer de la capacité, notamment en matière fiscale, de définir et
mettre en œuvre de véritables politiques publiques locales de développement; qu’elles
puissent intervenir directement ou indirectement dans la création d’entreprises.
Une accélération de la mise en application de la Charte de Développement Durable et des
Conseils de Développement des Pays est éminemment souhaitable.
Afin de mesurer l’efficacité économique, sociale, environnementale de ces quatre pôles, il
apparaît nécessaire d’envisager:
- La création d’une Commission des évaluations sociales et éthiques (socialement
responsables; de croissance durable), indépendante, chargée non d’unifier brutalement toutes
les démarches évoquées, mais, de les faire converger et plus tard, de les harmoniser.
- La prise en compte de critères sociaux et éthiques dans l’attribution de marchés publics,
dans la signature de contrats entre l’Etat, les collectivités publiques, territoriales et les acteurs
partenaires, dont, bien sûr, les associations.
- La prise en compte de critères de ce type dans l’attribution d’avantages fiscaux pouvant être
accordés à des personnes morales, sans but lucratif, oeuvrant dans l’intérêt social général.
- Une nouvelle contractualisation des rapports entre les acteurs des champs économiques et
sociaux, le législateur fixant les règles générales protectrices des droits essentiels des acteurs,
en particulier des salariés et des entrepreneurs individuels.
- Une nouvelle politique de prévision et d’alerte pour les entreprises. Il s’agit de mettre en
place des systèmes collectifs, permettant aux entrepreneurs, comme à leurs partenaires
syndicaux de faire appel à des outils d’information et de prévision, leur permettant de mieux
prévenir les accidents économiques et financiers.
- Une réforme du Plan. Il doit être plus démocratique, plus décentralisé, et devenir un
véritable outil de prospective.
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