LA FRANCE, L’EUROPE ET LE MONDE
L’Europe fédérale
L a République moderne, ce n’est pas le repli sur lui-même d’un vieil Etat persuadé qu’il peut
encore, à lui seul, infléchir la marche du monde, peser sur les grandes tendances de
l’économie, contrebalancer la puissance américaine. Pour tout cela, la France a besoin de
l’Europe, a besoin d’être dans l’Europe et, s’y trouvant, peut et doit agir pour faire de
l’Europe un nouvel échelon de la conquête républicaine.
Entre l’Europe et les Etats qui la composent, les rapports doivent être clarifiés. Une
Constitution fédérale européenne doit dire qui fait quoi, doit répartir clairement les
compétences entre l’Union et les Etats membres, étant posé en principe que doit relever de la
compétence des Etats ou, à l’intérieur de chacun d’eux (mais c’est l’affaire de chacun) de tel
ou tel niveau de collectivités territoriales, tout ce qui peut y être traité avec efficacité, sans
faire obstacle à l’action commune.
L’Europe doit être, beaucoup plus qu’aujourd’hui, l’affaire de ses citoyens. La Constitution
européenne devra préciser les éléments de la citoyenneté européenne, énoncer les droits de
l’homme que l’Union aura notamment pour mission de garantir, renforcer la place de la
représentation des citoyens dans le processus de décision commune. L’organisation
européenne des pouvoirs publics devra respecter les principes de la démocratie représentative.
Le rôle du Parlement européen devra être renforcé.
L’Europe, sauf à n’être rien de significatif, ne peut être seulement un marché. Elle doit être,
plus encore qu’aujourd’hui, un espace de cohésion sociale et territoriale, où la recherche de
l’intérêt général doit venir constamment réguler le jeu des mécanismes du marché. La notion
de service public doit retrouver un nouvel élan à l’échelle du continent, orienter par exemple
le règlement de problèmes aussi sérieux que celui de la fourniture d’eau potable.
De nouveaux progrès doivent être accomplis en vue de la définition et du déploiement d’une
politique étrangère et de sécurité commune de l’Union Européenne, trop absente de scènes
tragiques telles que celles des Balkans ou du Proche-Orient.
Un nouvel élargissement de l’Union est nécessaire, pour assurer la coïncidence entre l’Europe
des institutions et l’Europe de l’histoire et de la géographie, pour favoriser l’émergence d’une
véritable conscience européenne, pour faire de l’Europe le grand espace d’échanges et de
solidarité nécessaire à l’équilibre de la planète. Cet élargissement devra s’accompagner d’un
renforcement des ressources communes, de façon à préserver les moyens des politiques de
cohésion, en particulier au profit des régions défavorisées des pays déjà membres de l’Union.
La République Monde
Une mondialisation civique
La mondialisation ne peut être seulement économique, se résumer à la création d’un marché
mondial dont les instruments de régulation (OMC,FMI, etc.) ont pour seul objet la libre
concurrence, et la suppression des moyens publics de correction des déséquilibres engendrés
par le jeu libre et sans bornes du marché (politiques douanières, politiques de promotion des
investissements, accords de Lomé, etc..).
La mondialisation économique doit être nécessairement assortie d’une mondialisation
politique, visant à mettre les forces économiques au service de l’homme, permettant
d’assujettir le marché aux exigences de la cohésion, de la solidarité, du respect des droits de
l’homme, de la protection de l’environnement.
La mondialisation politique, c’est le projet d’une République-monde, c’est-à-dire de la
création, au niveau mondial, d’instances représentatives de tous les citoyens du monde, à la
manière de ce qui a été entrepris, et doit être poursuivi, en Europe, lorsqu’il s’est agi de faire
de celle-ci autre chose qu’un simple espace économique.
Une mondialisation solidaire
La paix mondiale passe par la réduction des inégalités. Les phénomènes de migrations qui
inquiètent une partie de l’opinion trouvent leur cause essentielle dans le retard de
développement de certains pays. Il faut donner un nouvel élan à la solidarité internationale.
Cela passe notamment par deux mesures simples:
- Le respect, par les Etats industrialisés d’un objectif de transfert financier significatif envers
les pays en développement. L’aide publique au développement des grands pays industrialisés,
qui a régulièrement diminué au cours des dernières années, doit être portée à 1% de leur PIB.
- L’annulation de la dette du tiers monde.
Une mondialisation équitable
Les activités économiques des groupes multinationaux représentent désormais une part
majeure du commerce mondial, largement supérieure à 50% de celui-ci. Les bénéfices
dégagés de ces activités représentent une assiette taxable considérable, qui est aujourd’hui
répartie dans des conditions gravement dommageables pour les pays en développement. Une
partie de la base taxable échappe à l’impôt car elle apparaît dans les paradis fiscaux. L’autre
partie est pour l’essentiel captée par les grands pays industrialisés, qui disposent des
informations et des moyens administratifs et techniques nécessaires au contrôle des opérations
des groupes internationaux. Les trésors publics des pays en développement ne récupèrent
qu’une part infime de ce potentiel fiscal, alors qu’une part importante de la valeur ajoutée
produite par les multinationales trouve souvent sa source sur leurs territoires.
Les profits des groupes multinationaux doivent être plus équitablement répartis, en particulier
pour la part qui en est prélevée par l’impôt. Il faut, pour cela, changer les mécanismes qui
président au partage de ce potentiel fiscal: le bénéfice mondial réalisé par chaque groupe
multinational doit être réparti entre les différents pays dans lesquels ce groupe est présent sur
la base d’une formule internationalement convenue, associant plusieurs critères objectifs:
chiffre d’affaires dans le pays par rapport au chiffre d’affaires total, valeur des actifs dans le
pays par rapport à la valeur mondiale des actifs, nombre de salariés dans le pays par rapport
au nombre total de salariés employés dans le monde.
Une telle taxation équitable permettra d’assurer aux budgets des pays en développement la
juste part leur revenant de la base imposable des firmes multinationales. Elle leur permettra de
disposer, hors même un quelconque geste de solidarité internationale, de moyens réguliers de
financement de leurs budgets publics.
Une mondialisation pour un développement durable et humaniste
Atteindre cet objectif suppose que l’on subordonne l’octroi d’aides économiques ou
financières internationales, à la réunion d’un certain nombre de critères s’ajoutant aux
traditionnels critères de la «bonne gouvernance» économique et financière. Il devra s’agir de
critères éthiques, sociaux et environnementaux, permettant d’assurer, partout dans le monde,
le respect des droits de l’homme, la garantie des droits sociaux et syndicaux, la protection de
l’environnement.
Le rôle international de la France
A raison de son histoire, de la place qu’elle occupe dans l’imaginaire des peuples, dans le
domaine de la culture comme dans celui de la conquête des libertés, des responsabilités que
lui confère son appartenance au groupe restreint des pays les plus développés, du caractère
exemplaire de son système de protection sociale, la France a le devoir de jouer sur la scène
internationale un rôle qu’elle est seule à pouvoir tenir.
L’action internationale de la France peut être déterminante pour assurer la paix dans le
monde, pour promouvoir un nouveau partage international des richesses et des moyens du
développement, pour permettre la survie de toutes les cultures qui sont l’expression la plus
authentique de l’humanité dans sa capacité à inventer, à créer, à faire, de mille et une façons,
vivre la vie.
Œuvrer à la paix dans le monde
L’action diplomatique de la France en faveur de la paix dans le monde ne peut être,
désormais, isolée de l’action plus large, et plus efficace, que peut mener, pour peu qu’elle s’en
donne les moyens, l’Union européenne. Ainsi la France, avec l’Europe, en avant-garde de
l’Europe s’il le faut, doit tout faire pour qu’enfin cesse le conflit destructeur des corps et des
intelligences qui obscurcit depuis tant d’années l’avenir du Proche-Orient; ainsi doit-elle être
au premier rang d’une politique d’apaisement des tensions dans les Balkans.
La France, toutefois, ne peut éluder les responsabilités particulières qui sont les siennes. Elle
n’a pas le droit, en particulier, de rester indifférente à toute dégradation des rapports
régionaux ou inter-régionaux qui, en Afrique en particulier, pourrait trouver une origine dans
la présence et les décisions qui y furent les siennes et, dès lors, a le devoir d’apporter, en
faveur de la préservation de la paix, les concours qui, dans le cadre d’une concertation de
préférence régionale ou internationale, lui seraient demandés.
Assurer un meilleur partage des moyens du développement humain,
c’est d’abord, on l’a vu, être au premier rang de l’action en faveur de la coopération
économique internationale. Comme en matière d’action pour la paix, la France doit être plus
particulièrement généreuse, dynamique, innovante, là où sa présence passée a pu contribuer à
la création de certains déséquilibres. Ainsi ne pourrait être accepté le désengagement
économique français à l’égard de l’Afrique, du Maghreb, des Caraïbes ou du Pacifique.
La France doit promouvoir une grande entreprise de coopération entre l’Europe et l’Afrique,
pour un développement humaniste et durable de ce continent.
Elle doit aussi accomplir certains gestes particuliers; par exemple engager une action décisive
pour aider la République d’Haïti à sortir du marasme économique. Le 200° anniversaire de
l’indépendance de ce pays fournit à la France l’occasion d’annoncer le remboursement des
contributions injustement versées au Trésor français par Haïti comme «prix» de sa libération.
Le partage des moyens du développement humain, ce sont aussi des actions de coopération
beaucoup plus résolues en matière de politiques d’éducation et de santé. Dans ces deux
domaines, les savoirs et les savoir-faire français doivent être généreusement partagés.
Favoriser l’épanouissement de toutes les cultures du monde
Il y a une exception culturelle française. Il faut qu’il y en ait beaucoup d’autres. Ce doit être
l’un des rôles majeurs de l’action internationale de la France que de défendre toutes les
cultures du monde, menacées d’être emportées par le flot dévastateur et réducteur d’une
logique du profit incompatible avec la préservation du génie créatif de l’homme. Parce
qu’elles sont nécessairement le reflet d’un lieu particulier, d’une histoire singulière, d’un
itinéraire à nul autre pareil, les cultures, même lorsque leurs expressions touchent à
l’universel, sont par nature plurielles. Elles doivent être à mises à l’abri de tout ce qui peut
contraindre à l’uniformité. Elles sont le lieu où l’intervention publique, à tous les échelons,
doit être non seulement autorisée, mais préconisée et encouragée. Une régulation
particulièrement contraignante doit s’appliquer à l’activité des entreprises multinationales
dites culturelles, auxquelles des quotas de production et de diffusion doivent être imposés.
Parce qu’elle est un élément de la défense solidaire de toutes les cultures du monde, l’action
de la France en faveur de la francophonie doit être conduite avec une détermination renforcée.
Parce qu’ils contribuent activement au partage des cultures et des savoirs, aux échanges
économiques nécessaires au développement, et à l’action que la France conduit en ces
domaines dans l’intérêt général, les Français de l’étranger doivent faire l’objet d’une
meilleure attention de la part de l’autorité publique, justifiant, en leur faveur, la définition
d’un corps de dispositions protectrices et encourageantes.
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