PEUPLES ET TERRES DE FRANCE
L a France est plurielle. Dans sa composition sociale, dans ses territoires. Son unité, sa
capacité à franchir les caps de l’unification européenne et de la mondialisation, à signifier
quelque chose d’important pour elle-même et le reste du monde, supposent qu’elle
reconnaisse sa diversité, s’appuie sur cette richesse et tire parti de tous les dynamismes qu’elle
recèle. La chance de la France, c’est la pleine acceptation de son pluralisme et, partant de là,
son ouverture au monde, l’offre de lui faire partager l’irremplaçable message républicain qu’il
y a un peu plus de deux siècles, elle a su, une première fois, lancer.
Pour une politique de confiance sociale
La France a changé. A cause de son histoire, de sa présence ou de son passage aux Antilles,
en Guyane, dans l’Océan indien et le Pacifique, en Afrique, au Maghreb, aux Indes, en
Indochine, beaucoup d’hommes et de femmes sont venus de ces autres rives jusqu’au sol
européen, se mêler à ceux qui s’y trouvent depuis plus longtemps, même si, bien souvent,
leurs racines sont éparses. La France est devenue, comme d’autres grandes nations du monde,
un pays mêlé, où se juxtaposent les couleurs, où se côtoient les cultures, les langues et les
croyances. Les Français le savent, parfois s’en enthousiasment, lorsque triomphe au stade de
France leur équipe multicolore, et parfois s’en étonnent ou s’en inquiètent. Le risque est alors
que deux France se dévisagent et se méfient l’une de l’autre. Ce n’est que rarement de racisme
qu’il s’agit, le plus souvent de méconnaissance de l’autre ou d’indifférence à l’autre.
Il est temps de définir et de mettre en œuvre une grande politique de confiance sociale,
capable d’assurer la cohésion nécessaire au progrès, à la sécurité et au bien-être commun.
Œuvrer au rétablissement de la confiance entre les Français, c’est d’abord dire à ceux dont les
familles sont installées depuis peu en France, qui se sentent mal à leur aise dans une société
qu’ils ne sentent pas vraiment leur, qu’ils doivent avoir confiance en eux, être fiers de ce
qu’ils sont, qu’ils sont les égaux de tous les autres citoyens, et qu’ils peuvent avoir toutes les
ambitions. C’est leur dire que l’école, dès la maternelle, c’est la leur; que l’Université, c’est
pour eux. C’est leur dire que les services publics sont la chose de tout le monde et donc la
leur: les bus, les métros et les cabines téléphoniques; que les quartiers et les cités où ils
vivent sont les leurs et qu’ils doivent les préserver comme on préserve ses propres biens; que
le besoin de sécurité, c’est d’abord celui de leurs familles, et qu’ils doivent contribuer à leur
protection; que la loi commune est la leur et qu’ils doivent la respecter, dès lors qu’ils se
respectent.
A ceux qui, enracinés de plus longue date sur le sol français, et qui, étonnés ou préoccupés par
les transformations de notre société, demeurent parfois perplexes ou méfiants en face d’allures
ou de parlers inattendus, lorsqu’il s’agit d’embaucher, ou d’accepter un locataire, il faut
demander de faire confiance à celui qui veut travailler, à celui qui a besoin de se loger,
comme c’est le désir ou le besoin de tout individu.
Le discours public, celui des responsables politiques, celui de la presse et des media, est d’une
grande importance pour la création, ou le rétablissement, du climat de confiance dont la
France a besoin. La transformation des comportements sociaux est largement tributaire d’une
pédagogie de la confiance sociale dans laquelle de très nombreux acteurs doivent s’engager
résolument.
Le discours, pourtant, ne suffit pas. Certains ont perçu, jadis, les risques de la fracture sociale,
au point d’en faire un thème de campagne présidentielle…avant d’en oublier jusqu’à la
signification. Au-delà du discours, il faut donc définir les voies et les moyens d’une politique
de confiance sociale.
La politique de confiance sociale doit avoir un responsable, pour en assurer la traduction
effective dans tous les domaines de l’action publique. Le prochain gouvernement français
devra comporter un Ministre des droits des personnes et de la cohésion sociale, chargé de
veiller au respect de l’égalité des droits, de prévenir et sanctionner tous les comportements
discriminatoires, de compenser les handicaps et favoriser les rattrapages sociaux.
Un vaste programme de cohésion sociale devra être défini, intéressant de nombreux
domaines de la vie sociale et publique:
Politique éducative
Elle devra favoriser les mises à niveau nécessaires: par une affectation prioritaire de moyens
(enseignants, locaux, matériels pédagogiques) aux établissements situés dans les zones à
besoins sociaux spécifiques (taux de chômage élevé, forte densité de population d’origine
immigrée), permettant en particulier un encadrement plus précis des enfants scolarisés.
Elle devra permettre une certaine personnalisation de la formation, pour un meilleur
épanouissement individuel, par la possibilité de libre choix d’une fraction des programmes,
par les parents dans le primaire, par les élèves au delà, compte tenu des possibilités d’option
définies par les autorités de chaque région. Ainsi pourront être enseignées, à côté d’un tronc
commun de disciplines fondamentales, les langues régionales ou parentales, les histoires et
cultures particulières, de même que des langues étrangères, ou telle discipline artistique ou de
toute autre nature, et ce, quel que soit le lieu de scolarisation de chacun: l’apprentissage de
l’arabe, du corse, du breton ou du créole est aussi utile et légitime à Paris qu’à Alger, Bastia,
Rennes ou Pointe-à-Pitre. Trop souvent, en effet, l’errance sociale trouve sa source dans la
perte d’identité.
Elle devra permettre un accès plus égal aux formations supérieures d’excellence; par la
décentralisation de ces formations, et de leurs préparations; par l’adaptation des programmes
de concours; par l’organisation de soutiens spécifiques régionalisés; par l’adoption d’un
revenu minimum étudiant.
Politique de l’urbanisme et du logement
Assez de collectifs en bordure d’autoroutes, assez de barres de béton refermées sur des
ghettos pour ceux qui sont venus d’ailleurs, assez de ségrégations urbaines, de banlieues chics
et de quartiers sensibles. Non pour interdire les affinités culturelles, ou pour forcer à une
mixité sociale non souhaitée: la politique des «quota d’immigrés» est aussi absurde que la
politique de cantonnement ethnique. Simplement, chacun doit pouvoir vivre, quelle que soit
son origine ou sa culture, dans un environnement également chaleureux, également
accueillant. Les politiques d’urbanisme doivent être des politiques fondées sur une égalité
d’exigences, quels qu’en soient les destinataires.
De même doit être rigoureusement assuré un droit égal au logement. Il n’est pas rare, en ce
domaine, que le handicap d’origine s’ajoute au handicap social. Les discriminations face à
l’accession au logement locatif ne doivent pas être tolérées. De façon générale, l’accès au
logement doit être facilité par l’octroi d’aides publiques, notamment à forme de garanties ou
cautionnements, en faveur des jeunes (premier accès à un logement) ou des personnes
défavorisées (personnes privées d’emploi).
Politique de l’emploi
Comme en matière d’accès au logement, les discriminations à l’emploi fondées sur l’origine,
comme sur le sexe, ou le handicap, doivent être identifiées, dénoncées et sanctionnées.
Politique de la communication, de la culture et des media
Une juste place doit être assurée aux Françaises et Français de toutes origines, à la fois dans
l’expression de la communication audiovisuelle et dans la représentation de la société
française que délivrent les media. Cela signifie davantage de pluralisme d’origine dans la
présentation des émissions de radio ou de télévision – pourquoi faut-il que l’accent du midi ne
soit admis que pour le sport ou la météo ? -, davantage de pluralisme d’allure ou d’apparence
dans le choix des actrices, des acteurs et des scénarios, davantage de pluralisme culturel dans
les programmations, y compris aux heures de grande écoute; davantage de pluralisme, aussi,
dans la considération portée aux candidats aux élections…
On ne proposera pas, ici, une énième politique des quotas, qui serait d’exécution difficile;
mais un peu plus d’attention à la réalité sociale française et aux exigences de sa cohésion, de
la part des medias eux-mêmes, comme de l’autorité indépendante en charge d’en contrôler le
comportement équitable (CSA).
Identités et religions
Les aspirations identitaires sont trop fortes et légitimes, à l’heure d’une mondialisation
écrasante, pour qu’elles puissent être ignorées ou absorbées dans une culture nationale unique
et uniforme, qui serait tout aussi réductrice que l’est celle des multinationales alimentaires ou
des «majors» américaines. La France est riche de cultures diverses, venues de la profondeur
des temps, qui ont pu survivre aux nivellements d’une excessive centralisation. Elle s’enrichit
aujourd’hui de cultures venues d’ailleurs, autres fragments du patrimoine commun de
l’humanité; leur rencontre, leurs échanges, sont à l’origine d’autres inventions, d’autres
créations.
Le respect des identités culturelles représente un important aspect de la politique de confiance
sociale. Il n’exclut nullement la protection du précieux héritage culturel des vingt siècles
d’histoire qui ont fait la France, non plus que la défense exigeante de la francophonie. Toutes
les cultures de l’Europe et du monde ont partie liée dans un combat commun pour tout ce que
produit le génie de l’homme, et que menace la toute puissance de logiques commerciales
insuffisamment maîtrisées.
De même doivent être considérées avec égal respect, et traitées de même façon, les différentes
religions pratiquées en France. La République laïque n’ignore pas les croyances. Elle en est
indépendante. Elle en permet l’égal exercice. Partout où la demande sociale en apparaît, des
mosquées, comme tous autres lieux de culte, ainsi que des lieux de sépulture pour tous les
croyants, doivent être édifiés, grâce à la collectivité publique plutôt que par d’incertains
concours extérieurs.
Jeunesse et sécurité
La sécurité à laquelle ont droit les citoyens ne passe certainement pas par le renforcement de
la répression à l’égard des jeunes ou par l’invention à leur encontre de nouvelles formes de
contraintes ou de punitions, mais avant tout par la prévention de la violence qu’assure une
politique globale d’égalité des chances, et de participation accrue à la vie sociale et civique.
Les jeunes ont besoin de marques de confiance: l’abaissement à 17 ans du droit de créer et de
gérer une association ou une entreprise, l’abaissement au même âge du droit de vote, seront
les témoignages de cette confiance. Les jeunes ont besoin de formation: c’est jusqu’au même
âge de 17 ans que doit être portée l’obligation de scolarisation.
Démocratie pour tous
La France telle qu’elle est doit se retrouver dans la représentation nationale, dans la
composition des conseils régionaux, généraux et municipaux, dans la composition
sociologique des partis politiques et surtout de leurs états-majors. La démocratie a fait un
grand pas en avant lorsque, il y a peu, les femmes ont obtenu d’être présentes à leur juste
place dans les compétitions électorales. Cette victoire serait inachevée si ne pouvaient y
concourir toutes les femmes de la République, et si la seule avancée réelle n’était autre que
l’adjonction d’un volet féminin à une classe politique coupée de la réalité sociale.
La vraie solution au problème de la sécurité dans les banlieues réside évidemment dans la
prise en mains de leurs propres affaires par les habitants qui y vivent. Comment s’étonner
de l’incivisme ou du désordre lorsque tant d’agglomérations sont gérées de manière exclusive
par les élus d’une partie minoritaire d’entre elles, alors que la majorité de leurs habitants,
parce qu’ils n’ont pas pu, su, ou voulu acquérir une carte d’électeur, parce qu’on leur a refusé
l’accès aux formations politiques traditionnelles ou qu’ils n’ont pas souhaité s’organiser en
formations communautaristes, se trouvent exclus de la décision publique ?
Les villes, les cités, les quartiers, doivent être gérés par leurs habitants. Ainsi se créent l’esprit
de responsabilité, le sens civique, le souci de bon fonctionnement des services publics, le goût
pour un environnement agréable et respecté.
La loi devra en conséquence prévoir, pour les agglomérations urbaines, la création pour
chaque ensemble résidentiel cohérent d’au moins mille logements d’une nouvelle collectivité
publique, dite mairie de quartier, administrée par un conseil élu par les habitants qui y
résident, le droit de vote étant reconnu à toute personne, ainsi qu’aux membres de son foyer
en âge de voter, y résidant depuis au moins un an et acquittant une contribution directe locale.
Les mairies de quartiers auront notamment la charge de créer et gérer des maisons de services
publics, qui offriront à tous les habitants du quartier l’accès aux services publics traditionnels
(poste, crèches, aide sociale, services culturels et sportifs, etc..) comme aux nouveaux services
d’intérêt général (formation et accès aux nouvelles technologies de communication, assistance
juridique et médiation, aides à domicile, formations spécifiques à la langue française,
assistance à la création et à la gestion d’associations et d’entreprises, etc..).
La loi devra prévoir la représentation obligatoire, dans les conseils municipaux des villes de
plus de trente mille habitants, des quartiers de ville représentant, chacun, une population d’au
moins trois mille habitants. Ainsi sera mis un terme à cette singularité qui fait de la France un
pays de plus de trente mille communes, dans lequel des groupes sociaux assez nombreux pour former,
à eux seuls, l’équivalent d’une ville moyenne n’ont aucune forme de représentation politique.
Bien entendu, le droit de vote à toutes les élections locales doit être accordé dans les
conditions déjà indiquées, qui ne sont autres que celles que prévoyait déjà, il y a plus de deux
siècles, la Constitution de 1793 !
La République en tous ses territoires
Les principes républicains, au cours des deux derniers siècles, se sont déployés dans le cadre
privilégié des Etats-Nations, qui ont durablement caractérisé l’architecture politique planétaire
et abrité l’édification du monde moderne.
La République des Etats est à l’origine de progrès essentiels. Elle a permis l’affirmation des
droits de l’homme et des libertés publiques, souvent, d’ailleurs, contre les excès du pouvoir
d’Etat lui-même. Elle a permis l’éclosion de la science, les progrès de l’industrie. Elle a
favorisé la conquête des droits sociaux, permis le déploiement des solidarités. Les Français lui
doivent l’école, le savoir, l’université; des conditions de travail et de vie améliorées; les
congés, le temps libre; la protection contre les risques sociaux; l’égal accès aux services
publics.
La République des Etats fut aussi la cause de phénomènes moins heureux: l’étouffement des
cultures régionales; la compétition sans bornes entre voisins dressés les uns contre les autres,
les guerres, les conquêtes coloniales conçues comme les prolongements ultramarins de la
concurrence européenne; après elles, la division artificielle de l’Afrique en Etats inspirés
d’un modèle sans racines dans ce continent; un bien-être économique et des avantages
sociaux réservés à une partie du monde, à l’abri de frontières égoïstes, suscitant l’envie,
forçant les migrations, pouvant aussi conduire à l’incompréhension ou à la haine. Ce ne sont
pas les principes républicains qui ont produit ces effets tragiques ou cette dangereuse inégalité
de la condition humaine. C’est leur enfermement dans l’étroit carcan de l’Etat-Nation.
Les transformations du monde, au cours des dernières années, établissent la fin du règne sans
partage des Etats-Nations. La mondialisation économique, la construction européenne et les
autres mouvements d’intégration économique régionale, la quête des identités culturelles et le
développement des pouvoirs locaux, dessinent une nouvelle planète, où les Etats ont leur
place, mais au sein d’une architecture plus riche et diversifiée.
La chance de la République est de pouvoir étendre ses principes à tous les niveaux de cette
architecture, du village au monde, en conservant à l’Etat l’héritage précieux d’une pratique
éprouvée des valeurs d’humanisme, d’égalité des droits et de solidarité entre les individus.
Le devoir des républicains n’est pas de s’arc-bouter sur un passé révolu et de tenter de
ressusciter une forme d’Etat qui a vécu mais bien de proposer une vision de la République
moderne adaptée à la marche du monde.
La République moderne, ce sont des collectivités territoriales fortes de leurs identités et libres
de leur développement économique, réunies dans le cadre d’un Etat recentré sur ses missions
essentielles, renforcé dans les moyens de leur exercice; c’est une Europe fédérant toutes ses
composantes étatiques au sein d’un nouvel ensemble politique capable de peser sur le devenir
de la planète; c’est une planète Terre où les citoyens doivent être représentés au même titre
que les Etats, dans une organisation politique universelle qui doit assurer la maîtrise de
l’homme sur les forces de l’économie comme sur les élans de la science et de la technique.
Des collectivités territoriales épanouies dans leur identité et leurs nouvelles libertés
Reconnaître les identités territoriales. Chacun peut constater combien, en contrepoint à la
mondialisation économique, les femmes et les hommes de toutes contrées ou origines sont
désireux de retrouver et de s’approprier toutes leurs racines. Pour certains, qui ont été
contraints au voyage, ces racines resteront intérieures; elles vivront dans leur culture, dans
leurs croyances. Pour d’autres, qui sont restés au pays, elles sont symbolisées par un territoire,
aux particularités désormais mieux perçues, et plus fortement revendiquées. Dans la
République moderne, l’Etat doit respecter les identités territoriales, comme les identités
culturelles, ou religieuses. C’est un aspect de la laïcité.
L’Etat républicain s’est trompé le jour où, soucieux à juste tire de généraliser l’accès au savoir
par l’égal enseignement de la langue française, il a cru nécessaire de s’employer à faire
disparaître les langues régionales. Elles sont un élément du patrimoine commun de
l’humanité. Elles doivent être préservées et enseignées.
Etendre les compétences locales. Il ne suffit pas, toutefois, de respecter les identités
territoriales à la manière dont on respecte les œuvres entreposées dans un Musée. Nos
territoires doivent vivre, se mesurer à d’autres, prospérer, s’épanouir. Pour cela, les
collectivités qui composent la France doivent disposer des compétences leur permettant de
libérer leurs énergies et leur dynamisme.
A peu près partout en Europe, mais pas encore en France, on a compris cela: les régions, les
Länder, les provinces, sont dotés d’attributions leur permettant de définir et de mettre en
œuvre des projets de développement territorial, d’affronter dans les meilleures conditions
d’efficacité une compétition mondiale, qui n’est plus seulement celle des Etats, mais bien
celle de tous les territoires.
En France, la décentralisation a été jusqu’ici comprise comme un processus permettant de
faire prendre certaines décisions par des autorités locales, mais dans le cadre de législations
ou réglementations uniformes définies communément pour tous par le pouvoir d’Etat.
Or la loi républicaine n’a nullement vocation naturelle à produire de l’uniformité. De grandes
républiques fédérales admettent, sans cesser d’être des Républiques, la diversité de règles
selon les territoires. La loi française elle-même, d’ailleurs, organise bien souvent des
différenciations, que le Conseil Constitutionnel, gardien des principes républicains, admet
parfaitement, dès lors que ces différenciations sont la réponse à des situations elles-mêmes
différentes. Le principe d’égalité n’est pas satisfait lorsqu’une même règle s’applique à des
situations qui ne sont pas équivalentes. Et aucune raison de principe n’impose que la
nécessaire diversité soit organisée par le seul pouvoir d’Etat, plutôt que, dans certains cas,
laissée aux bons soins d’une autorité locale. Il faut se garder de confondre égalité et
uniformité. Il faut se garder de confondre unité de la République et unicité du pouvoir
d’édicter des règles générales.
La République moderne est ainsi pleinement fondée à prendre appui sur une nouvelle forme
de décentralisation, comportant le transfert aux collectivités territoriales d’un pouvoir
d’édicter des règles générales jusqu’alors réservé aux seules autorités de l’Etat, législateur
national ou pouvoir réglementaire.
Ce transfert de compétence peut concerner des domaines qui relèvent de la compétence
gouvernementale, du pouvoir réglementaire. Ce transfert peut alors s’effectuer sans qu’il soit besoin
de réviser la Constitution, le Conseil Constitutionnel vient de le confirmer à propos de la Corse.
Il passe par une révision de la Constitution, et particulièrement de son article 34, lorsqu’il
concerne des questions qui relèvent du domaine de la loi.
De tels transferts de compétence ne devront pas être les réponses improvisées à des situations
de crise affectant tel ou tel territoire particulier; ils devront être un élément du nouveau droit
commun de la République, et pourront intéresser, à ce titre, l’ensemble des régions, comme
l’ensemble des départements.
Ils devront concerner les domaines dans lesquels l’initiative locale est, à côté de celle de
l’Etat, légitime, utile et efficace, particulièrement ceux de l’action économique, de
l’aménagement du territoire, de l’équipement, du logement, de la protection de
l’environnement, du patrimoine et de la culture. Pour ce qui relève du domaine de la loi, ils
concerneront utilement le domaine de la fiscalité. Les collectivités territoriales françaises
doivent disposer d’une certaine capacité à définir et mettre en œuvre des politiques fiscales
locales, aptes à répondre à leurs besoins et à favoriser leur développement.
S’agissant de l’éducation, elle doit demeurer, à titre principal, une question relevant de la
compétence de l’autorité nationale. Un droit égal pour tous à une éducation de qualité,
sanctionnée par des diplômes à l’équivalence reconnue, est en effet un élément fondamental
du pacte républicain. Toutefois, une partie des programmes d’enseignement devra être libérée
pour faire place, selon le cas, à l’enseignement de langues régionales (occitan, basque, corse,
breton, créole, swahili…), à la préservation d’un héritage culturel, à l’apprentissage d’une
troisième langue européenne, ou encore au développement du sport, de la musique, ou d’un
autre centre d’intérêt.
De manière générale, il ne s’agit pas de priver le législateur du pouvoir de fixer les grandes
règles communes qui doivent guider l’action républicaine. Il s’agit de concevoir un partage
des compétences là où il est opportun, pour une loi, pour un règlement, plus proches des
citoyens, mieux adaptés aux réalités du terrain. Il s’agit de faire vivre la diversité territoriale,
dans le respect rigoureux des principes républicains.
Assurer la cohésion nationale. Fortes de leur identité retrouvée, assurées
des moyens de leur développement, les collectivités territoriales ne doivent pas cesser d’être,
entre elles, solidaires. Une raison d’être majeure de leur réunion au sein de l’ensemble national
est de faire en sorte que s’y déploie, à une échelle appropriée, le principe de fraternité.
La richesse, les ressources naturelles, le potentiel économique, sont inégalement répartis entre
les régions, comme, à l’intérieur de celles-ci, entre les départements, puis entre les communes.
Le développement des libertés et des compétences locales ne doit en rien compromettre la
solidarité des territoires. Il doit au contraire en permettre le renforcement. Celui-ci sera assuré
par la généralisation d’un mécanisme de péréquation: une fraction des recettes propres de
chaque région sera affectée à un fonds national de péréquation, dont le produit sera reversé
aux régions les plus défavorisées, au regard de critères tels que le revenu moyen par habitant,
le potentiel fiscal par habitant, le niveau de sous-emploi. De même, une fraction des recettes
propres de chaque département abondera un fonds régional de péréquation, cependant qu’une
fraction des recettes de chaque commune ou communauté de communes alimentera un fonds
départemental ou intercommunal de péréquation.
Pour ce qui concerne les départements d’outre-mer, il appartient à chacun
d’eux d’exprimer librement sa préférence en ce qui concerne l’organisation des pouvoirs publics
locaux et l’évolution statutaire.
Le nouveau droit commun républicain, comportant une extension des compétences
normatives des autorités démocratiques locales, assurera en tout cas aux départements et
régions d’outre-mer, comme aux autres collectivités de la République, la reconnaissance de
leur identité et des moyens plus efficaces pour leur développement.
S’agissant des segments de la législation ou de la réglementation qui demeureraient de la
compétence de l’autorité nationale, les possibilités d’adaptation de la règle commune à la
situation particulière des D.O.M. devront être élargies, par rapport aux prescriptions de
l’actuel article 73 de la Constitution. La nécessaire prise en compte des spécificités et des
handicaps des départements d’outre-mer ne doit pas être freinée par l’obligation d’un recours
régulier à la révision constitutionnelle. La Constitution française devra donc prévoir une
marge d’adaptation des normes nationales comparable à ce que le Traité CE, dans sa rédaction
issue du traité d’Amsterdam, prévoit en son article 299-2 en faveur des régions
ultrapériphériques de l’Union, par rapport au droit commun de celle-ci.
Un Etat renforcé dans l’exercice de ses missions essentielles
La République ne se confond pas avec l’Etat. Mais l’Etat demeure un cadre de référence
essentiel des principes républicains; il en est la principale matrice. Il doit continuer à jouer
son rôle irremplaçable de gardien des libertés publiques, de garant de la sûreté intérieure et de
la sécurité extérieure, ainsi que d’une justice et d’une éducation égales pour tous, d’agent
central de la solidarité nationale, de défenseur, partout dans le monde, des droits de l’homme
et des libertés publiques, de militant de la coopération internationale, du partage économique
équitable et de la paix.
Pour l’exercice de ces missions essentielles, qui font sa légitimité, l’Etat doit être renforcé.
Contrairement à une idée commune, complaisamment propagée par des libéraux excessifs,
toujours prompts à dénoncer le trop d’Etat ou le trop d’impôts, l’Etat français n’a pas,
aujourd’hui, les moyens de ses missions essentielles. Les statistiques de la Commission
européenne et du Ministère de l’Economie établissent fort clairement qu’il est, de tous les
Etats de l’Union Européenne, le plus démuni: les ressources collectées par l’Etat pour son
propre compte représentent, en France, 16% du PIB, contre une moyenne européenne de 20%.
L’Etat français dispose d’un pourcentage de la richesse nationale comparable à celui constaté
dans beaucoup de pays dits en développement !
Ainsi s’explique l’insuffisance de moyens justement dénoncée par les magistrats, les policiers,
les gendarmes, les militaires, les personnels pénitentiaires, les enseignants, les universitaires,
les chercheurs et les autres agents de nos services publics. Oui, il faut donner davantage de moyens
à l’Etat pour qu’il puisse assurer efficacement les missions essentielles qui sont les siennes.
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