Quand le faux pointe le vrai

 O n voit fleurir par les temps qui courent des déclarations péremptoires qui assimilent les administrations des États-Unis et d'Israël au régime nazi, et les gouvernements européens aux régimes fascistes qui fleurirent dans l'entre-deux-guerres, ce qui prouve qu'aujourd'hui comme hier on peut raconter n'importe quoi n'ayant pas grand chose à voir avec la réalité en le présentant comme vrai. Mais ces affirmations pointent malgré tout quelque chose de vrai, et qu'exprimait le 21 avril 2004 sur France Culture le résistant Stéphane Hessel, un des auteurs signataires de l'«Appel des Résistants»[1]: la France d'aujourd'hui n'est pas celle de Vichy, mais il existe des tendances à l'œuvre au niveau de la structure d'État qui peuvent faire craindre une dérive autoritaire de ce type; l'actuelle administration israélienne n'est pas animée par une idéologie de type nazi, en revanche la manière dont elle a décidé de régler «la question palestinienne» amènerait, si elle mène cette logique jusqu'au bout, à une sorte de «solution finale»; l'administration Bush n'est pas fasciste ou totalitaire, néanmoins elle développe des méthodes d'action et de communication qui doivent beaucoup à celles employées il y a quelques décennies par l'Italie mussolinienne ou l'Union soviétique stalinienne. En même temps, se développent des «contre-pouvoirs» qui en réalité ne sont pas «contre les pouvoirs» mais s'attachent chacun à sa manière à, d'un côté alerter ces pouvoirs contre les dérives en cours, de l'autre susciter dans le corps social des instances de contrôle démocratique adaptés à la situation actuelle.

Le problème n'est pas du côté de ce qu'on nomme habituellement «le pouvoir» qui n'est pas en fait une instance sociale puissante et qu'on nommerait mieux le gouvernement et l'administration; le pouvoir est ailleurs, du côté de ceux qui décident. Et dans une société démocratique, tout le monde décide. Donc, si une société démocratique agit d'une manière qui s'apparente à ce qu'on nomme, depuis l'entre-deux-guerre, «fascisme», cela signifie que tout le monde, ou en tout cas une partie significative du monde, le veut. Et «le pouvoir», au sens inexact de l'emploi du terme, agit selon la volonté de tout le monde. Contrairement à la tyrannie ou à la dictature, le fascisme est une forme de gouvernement essentiellement démocratique et résulte toujours d'un choix volontaire de la majorité des membres de la société où il s'applique. D'une large majorité. Disons, au moins 10% à 25% de ses membres et le plus souvent de 75% à 90% d'entre eux.


La notion de majorité est non assignable à celle de plus grand nombre et se définit plutôt comme «le plus fort reste»; suivant le type de société ça peut aller de 1 à tous les membres présents lors d'une décision, cela avec ou sans quorum. Dans une tyrannie ou une dictature, c'est 1; dans une démocratie, idéalement ce serait tous les membres et le plus souvent c'est défini comme «la majorité des présents plus 1» avec un quorum variable mais, autant que je sache, jamais inférieur à 12,5% dans les démocraties contemporaines. Entre les deux on a toutes les configurations avec toutes sortes de critères. Pour ce qui m'occupe, on considérera le cas des démocraties de type ouest-européen, Ce qui n'inclut pas la Grande-Bretagne, un rare pays européen où le système n'est pas démocratique, ou au moins ne l'est pas de la même manière générale qu'en Europe continentale.

Que ce soit dans une démocratie ou dans tout autre système d'organisation sociale, le seuil minimal réel pour qu'une décision concernant l'ensemble de la société soit réputée validement acceptée est: une voix. La différence entre les démocraties et les autres régimes vient de ce que dans les premières, pour que le vote univocal soit enregistré il faut que les autres voix en droit de s'exprimer aient formellement signifié qu'elles ne désirent pas prendre part au choix. Ce qui fait que, si philosophiquement je suis plutôt défavorable au vote obligatoire avec sanction, pragmatiquement je constate que sans un moyen incitatif pénalisant il est difficile, en un premier temps, de convaincre tous les membres d'une société d'entrer dans le système. Par contre, pour que le vote obligatoire soit autre chose qu'une apparence de choix collectif, il est nécessaire de tenir compte du vote blanc dans le décompte des voix. Il serait intéressant d'explorer cette question plus avant, par exemple, «le nombre de voix» est-il défini comme «le nombre de personnes physiques comptabilisées par la société», ou le nombre de personnes morales ? Ou encore: la voix d'un «parent» doit-elle compter pour 1 ou pour autant que de membres de la société qui s'affirment être ou/et sont reconnus être «ses enfants» ? Dans ce schéma, la voix infantile compte-t-elle pour un seul parent ou pour chacun des membres de la société reconnus «le parent» d'une certaine personne physique ? Et aussi, peut-on considérer une personne morale comme «un parent», exception faite bien sûr de celle dite «l'État» ? Et autre possibilités.


[1] Un texte très intéressant, que vous trouverez ici-même en annexe. Un peu grandiloquent par certains aspects, mais qui expose et propose des choses de bon sens, et d'application simple.